Judit Reigl - "Mes toiles récentes": 17 décembre 1975

Il s'agit essentiellement de l'espace réel, de l'épaisseur, profondeur physique d'une toile vierge, très fine, sans apprêt.

 

Il s'agit aussi d'un mouvement réel, physique, qui se déroule dans l'espace-temps (je marche, longeant la toile, la touchant, l'effleurant avec un pinceau trempé dans la peinture glycérophtalique qui s'inscrit dans la toile latéralement et la pénètre en même temps transversalement). Volume en devenir, visible à l'endroit comme à l'envers.

 

Il s'agit ensuite de la lente révélation du passage de l'imperceptible au perceptible de ce volume, par un long travail pictural de plus en plus complexe, précis, serré. Application en plusieurs couches de couleur (acrylique, souvent mélangée avec de la poudre métallique) à l'endroit de la toile. Ce processus fait apparaître sur l'autre côté du tissu le flux vivant de ce volume dans toute sa fraîcheur initiale, dans sa fréquence modulée. Simultanément il sature, stratifie les plans non-inscrits.

 

Puis, l'application des couches de couleur à l'envers de la toile, qui, tout en continuant d'épaissir les plages soi-disant vides (sans inscription), paradoxalement provoque la lente disparition du volume, le pousse vers l'intérieur du tissu, le vide de sa vibration, l'aplatit jusqu'à sa quasi dissolution.

 

Je m'arrête parfois à la première phase c'est-à-dire à l'exploration des possibilités qu'offrent les couches acryliques accumulées sur l'endroit de la toile seulement. Quelquefois je poursuis l'opération sur l'envers du tissu, soulignant, insistant sur la deuxième phase : l'ensevelissement-dissolution.

 

Mais le plus souvent, je combine les deux procédés, à l'envers comme à l'endroit, dans un équilibre instable et précaire au seuil de l'apparition/disparition, à la frontière de la naissance et la mort.

 
Il faudrait avoir deux vies.
 
J. Reigl
Paris, 17 décembre 1975