Judit Reigl, Female figure in man: Galerie Kamel Mennour, Paris

24 Mars - 24 Mai 2023
À l’occasion du centenaire de Judit Reigl (1923-2020), la galerie Mennour présente une série d’oeuvres des années 1960 aux années 1990 marquées par l’apparition de figures anthropomorphes dans un corpus auparavant résolument abstrait.
 
Alors qu’elle travaille à la série des « Écritures en masse », Reigl raconte voir apparaitre sur la toile — presque malgré elle — un torse puis un corps débordant les limites du tableau. Ce basculement d’une peinture gestuelle à ces corps en lévitation est le marqueur d’une indifférenciation qui s’impose alors à l’artiste, battant en brèche l’opposition irréductible entre les peintres de l’abstraction et ceux de la figuration. Si son oeuvre s’inscrit dans les grands courants de son temps, Reigl se situe toujours un peu en dehors du cadre, refusant tout dogme. À peine est-elle associée à un courant qu’elle s’en libère : surréalisme, abstraction gestuelle,
lyrique, expressionnisme abstrait, peu importe les tentatives de classifications dans laquelle on tente de ranger son oeuvre, elle trace sa voie singulière, inclassable. Le travail de Reigl se joue d’autant plus des catégorisations qu’elle se plait à passer d’une série à l’autre par étapes successives, superposant des « hommes » sur des toiles jusque-là abstraites, au risque de dérouter son public.
 
« Il n’y a pas de rupture » répète l’artiste et c’est donc par enchainement naturel entre une série d’oeuvres et la suivante que l’exposition tente de rendre lisible l’extrême cohérence d’un corps à corps entre l’artiste et la toile, qu’elle s’y reflète physiquement ou qu’elle y impulse son énergie vitale. « La seule constante de mon travail est l’expérience d’être ! Si ça doit être figuratif, j’accepte. Si cela devient abstrait, j’accepte aussi. »
 
Entre 1962 et 1972, Reigl n’expose plus en France. Cette décennie de sédimentation où s’enchainent les séries désormais les plus emblématiques de son travail — « Guano », « Écritures en masse », « Expérience d’apesanteur » — s’achève sur celle des « Hommes » par lesquels elle revient sur la scène artistique parisienne à l’occasion d’une exposition à la galerie Rencontres, dirigée par sa compagne Betty Anderson.
 
L’accueil est alors mitigé tant par la critique que par ses anciens défenseurs qui ne comprennent pas ce qui leur semble un revirement figuratif. Sur les murs de l’atelier, que l’artiste occupe dans le village de Marcoussis, sont épinglés cartes postales, articles de presse, documents divers qui reflètent l’univers de référence à partir duquel se construit l’oeuvre. De l’inventeur du suprématisme Kasimir Malevitch, Reigl admire L’Homme qui court ; de Cézanne : Les Baigneuses ; de l’art pariétal : des figures dansantes. Dans la presse, elle découpe des articles sur les nageurs. Dans ses archives, une photographie de migrants vus de loin, traversant une plaine, rappelle qu’elle-même des années auparavant avait franchi le rideau de fer, fuyant la Hongrie stalinienne pour trouver refuge en France.
 
Quand les toiles abstraites de la série des « Déroulements » basculent à la verticale et, saturées de peinture, deviennent des murs à franchir ou quand une porte s’ouvre sur la toile de la série « Entrée-Sortie », la figure humaine réapparait. Ces « hommes » asexués, dégenrés, reflètent sa vision d’une humanité qui lutte pour s’extraire de sa condition terrestre, comme ses figures tentent de s’extraire de la toile, flottant en apesanteur, s’élevant vers le « vide cosmique ». Reigl s’y donne à voir, au sens propre comme au figuré, s’affirmant comme peintre, libre, affranchie, n’acceptant pour règle que la sienne : « je suis la Reigl ».

 

— Christian Alandete, commissaire de l’exposition

 


 

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