BIOGRAPHIE


 

© Photos Philippe Boudreaux

 

L’oeuvre de Judit Reigl est tout à la fois de son temps et très singulière. 

 

Née en Hongrie à Kapuvar en 1923, Judit Reigl rejoint Budapest en 1941 et entre alors à l’École des Beaux-Arts : « J’ai pris chez tous les élèves ce qui m’intéressait, j’étais dégourdie, mais toujours sincère ». Après l’interruption de la guerre, elle reprend les cours en juin 1945 et, bénéficiant d’une bourse de l’académie hongroise de Rome, elle se rend en Italie en 1946 : la découverte des oeuvres in situ des grands maîtres de la Renaissance et du Baroque la marque profondément. C’est à Ravenne que Judit Reigl fait la connaissance de Betty Anderson (1911- 2007), tout à la fois sculptrice et poète anglaise, qui deviendra sa compagne. À son retour en octobre 1948, la Hongrie est alors sous la coupe d’un régime communiste autoritaire. Judit Reigl décide alors de fuir et passe le rideau de fer le 10 mars 1950, après huit tentatives infructueuses. Il lui faut trois mois d’aventures terribles pour gagner Paris. Accueillie par la communauté hongroise (Simon Hantaï, sa femme et Antal Biro), elle s’installe dans un atelier de la Ruche. 

 

« Toute mon oeuvre constitue une seule série, depuis l’âge de trois ans jusqu’à ce jour. [...] En réalité, durant toute ma vie, je n’ai rien fait d’autre que peindre, ou essayer de peindre dès que j’en avais la possibilité ». 

 

En 1954, André Breton découvre le tableau de Judit Reigl, Ils ont soif insatiable de l’infini. Il lui écrit « Je vous crois en mesure d’accomplir des choses immenses » et lui offre d’exposer à la galerie À l’Étoile scellée. Cette rencontre est décisive pour l’artiste. Si Judit Reigl n’a jamais fait partie du groupe surréaliste, elle va cependant partager un certain nombre de leurs préoccupations et pratiquer un automatisme « total à la fois psychique et physique ». La Littérature, surtout la poésie et la musique ont accompagné l’artiste durant toute sa carrière. Travaillant par série, l’artiste a cessé d’utiliser le pinceau à partir de 1951, fabriquant ses propres outils elle-même, telle la tringle à rideau avec laquelle elle « écrivait » ses tableaux. 

 

Éclatement, Centre de dominance, Guano, Écriture en masse, Expérience d’apesanteur, Homme, Drap, décodage, Déroulement, Art de la fugue, Volutes, Un Corps au pluriel, Entrée- Sortie, Corps sans prix, tels sont les titres des séries qui se succèdent, se chevauchent parfois, entre 1956 et 2008. Si la figure surgit à l’improviste, l’artiste l’accepte et initie une nouvelle série, passant ainsi de l’abstraction à une figuration anthropomorphe, puis revient à l’abstraction. C’est ainsi que Judit Reigl déconcerte le monde de l’art qui n’arrive pas à la classer mais doit essayer de la retrouver à travers des oeuvres où son énergie et sa puissance se retrouvent : « Tout mon corps participe au travail, à la mesure des bras grands ouverts. C’est avec des gestes que j’écris dans l’espace donné du rythme, des pulsations, des pulsions ». 

« La série Dominance (1958-59) est mue par la force centrifuge et Écriture en masse (1959- 65) par la force centripète. Les séries se suivent par vagues comme si j’expirais puis inspirais de l’air [...] La série Écriture en masse (1959-65) est peut-être une réminiscence de la première fois où j’ai vu le soleil surgir de la masse de la mer avec trois immenses rochers pourpres au premier plan. [...] ».

 

En 1966, alors que Judit Reigl travaille sur une oeuvre de la série Écriture en masse, un torse monumental apparait qui va s’imposer et ouvrir une nouvelle série, Homme, qui va surprendre critiques et professionnels. Elle peint plus d’une centaine de ces figures anthropomorphes, parfois violemment colorées, qui ne seront que très rarement exposées. 

 

Avec les séries Déroulement (1973-85), liée à Mozart, et Art de la fugue (1980-82), liée à Bach, Judit Reigl propose une promenade dans la couleur et la musique. C’est en marchant et en écoutant ses musiciens préférés qu’elle réalise ces toiles, accrochées au mur, avec un batônnet entouré de laine de verre imprégnée de peinture. Marcelin Pleynet souligne l’esthétique et la beauté de ces oeuvres qui vont trouver une réception internationale. 

 

À partir de 1988, la figure humaine revient dans l’oeuvre de Judit Reigl : avec Face à... et Un Corps au pluriel, des silhouettes empruntent un passage, ou flottent dans l’espace. Leur identité est souvent neutre et semble être en suspens, hors de la violence qui secoue le monde : « Corps : le plus parfait instrument et le plus tragique obstacle. Depuis plus de 15 milliards d’années. Agglomération, fusion, séparation, attirance, repoussement, croissance, diminution, transformation, mutation, explosion, implosion, dissolution. Désir, souffrance, mort, recommencement ». 

 

Après avoir été exposée par la Galerie Drouin en 1956, avec Georges Mathieu, Simon Hantaï et Jean Degottex, Judit Reigl est soutenue par Jean Fournier de la Galerie Kléber entre 1956 et 1962. De 1972 à 1976, elle expose à la Galerie Rencontres, tenue par sa compagne, Betty Anderson. C’est la Galerie Yvon Lambert jusqu’en 1982, puis Catherine Thieck de la Galerie de France qui soutiennent le travail de Judit Reigl.

 

Après sa disparition le 6 août 2020, c’est le Fonds de dotation Judit Reigl qui est chargé d’établir le catalogue raisonné ainsi que la promotion de l’oeuvre de l’artiste, désormais représentée par kamel mennour. 

 

— Blandine Chavanne